12
Sur les pistes de la peur
Les jours passaient lentement pour l’homme et la femme partis à la recherche de leurs camarades. Des jours pleins de fatigues, d’efforts, dont la plupart visaient à se procurer de la nourriture et de l’eau pour subsister. Colt se sentait de plus en plus impressionné par le caractère et la personnalité de sa compagne de voyage. Il remarquait avec appréhension qu’elle s’affaiblissait peu à peu sous l’effet de l’épuisement et du manque de nourriture. Une nourriture au demeurant inappropriée, la seule toutefois qu’il se révélait capable de lui procurer. Pourtant elle gardait fière contenance et tentait de lui cacher son état. Elle ne se plaignit pas une fois. Pas un mot, pas un regard pour lui reprocher son incapacité de trouver assez à manger. Il ressentait toutefois son échec en la matière comme une preuve d’inefficacité. Elle ne savait pas qu’il se privait souvent pour qu’elle pût se nourrir, lui racontant à son retour qu’il avait déjà consommé sa part. Cette petite ruse était rendue possible par le fait que, lorsqu’il chassait, il laissait fréquemment Zora se reposer en un endroit relativement sûr, afin de ne pas l’exposer à des épreuves inutiles.
Ce jour-là, il l’avait laissée dans un grand arbre au bord d’un ruisseau sinueux. Elle était éreintée. Elle avait à présent l’impression de ne plus parvenir à reprendre des forces. L’idée de poursuivre cette marche l’épouvantait. Pourtant elle savait qu’il fallait continuer. Elle se demandait combien de temps elle tiendrait encore avant de tomber d’épuisement pour la dernière fois. Ses préoccupations n’allaient pourtant pas principalement vers elle-même, elles allaient vers cet homme, ce représentant du monde de la richesse, du capitalisme et du pouvoir, dont les prévenances constantes, la gaieté et la tendresse étaient pour elle une révélation. Elle savait que, quand elle ne pourrait aller plus loin, il ne voudrait pas la quitter, compromettant ainsi, à cause d’elle, ses chances d’échapper à cette jungle lugubre. En considération de quoi elle espérait mourir assez tôt pour le relever de ses responsabilités et lui permettre de poursuivre avec plus de vigueur la recherche de ce camp qui se dérobait toujours et ne semblait plus guère, désormais, qu’un mythe. Elle repoussait pourtant la pensée de la mort. Non qu’elle en eût peur, comme ç’aurait pu être le cas, mais pour une raison entièrement différente, dont la prise de conscience soudaine l’ébranla. La tragédie que représentait pour elle cette illumination subite la remplit de frayeur. Elle devait absolument se débarrasser de cette idée, elle ne pouvait l’abriter un instant de plus. Cela persistait pourtant. Cela persistait avec une insistance obstinée, qui lui fit monter les larmes aux yeux.
Colt s’était éloigné plus que de coutume dans sa recherche de gibier, car il avait débusqué une antilope. L’imagination enflammée par la contemplation d’une telle quantité de viande en une seule proie, et sachant l’importance que cela pouvait avoir pour Zora, il suivait avec acharnement la piste de l’animal qu’il apercevait de temps à autre dans le lointain.
L’antilope n’était que vaguement consciente d’une présence ennemie, car Colt marchait contre le vent et elle ne le flairait pas. Elle avait pu apercevoir l’homme, à l’occasion, mais cela n’avait fait qu’éveiller sa curiosité. Aussi, tout en s’éloignant, s’arrêtait-elle souvent pour tourner la tête, cherchant à contempler la cause de son étonnement. Elle finit par attendre un moment de trop. Au bord du désespoir, Colt tenta un tir de loin. Quand l’animal s’affala, le chasseur ne put étouffer un grand cri d’exultation.
À mesure que passait le temps – un temps qu’elle n’avait aucun moyen de mesurer –, Zora s’inquiétait de plus en plus au sujet de Colt. Il ne l’avait encore jamais laissée seule si longtemps, et elle commença à imaginer toutes les calamités qui avaient pu le frapper. Elle regrettait de ne pas être partie avec lui. Si elle avait jugé possible de le suivre à la trace, elle serait allée à sa recherche, mais elle se rendait compte que c’était tout à fait déraisonnable. Toutefois, son inactivité forcée la rendait nerveuse. Sa position dans l’arbre devenait intenable. Enfin, soudainement assaillie par la soif, elle en descendit et se dirigea vers la rivière.
Ayant fini de boire, et sur le point de retourner à l’arbre, elle entendit quelque chose approcher du côté par où Colt était parti. Aussitôt son cœur bondit de joie, son abattement et même une partie de sa fatigue semblèrent s’évanouir et elle s’aperçut, tout à coup, combien elle s’était sentie seule sans lui. Nous sommes dépendants de la compagnie de nos amis, bien que nous nous en rendions rarement compte avant que nous soyons devenus victimes de la solitude. Des larmes de bonheur aux yeux, Zora Drinov s’avança à la rencontre de Colt. Alors les buissons s’écartèrent devant elle et elle contempla, d’un regard horrifié, un monstrueux singe velu.
To-yat, le chef, était aussi surpris que la jeune femme, mais il réagit tout à l’inverse. Il n’éprouvait aucun dégoût à regarder cette femelle mangani, douce et blanche. Elle ne voyait que de la férocité dans son attitude, alors qu’il sentait naître dans sa poitrine une émotion entièrement différente. Il avança vers elle à pas pesants. Alors, comme si elle se remettait d’une paralysie momentanée, Zora prit la fuite. Peine bien inutile ! Elle le comprit un instant plus tard, quand une patte poilue l’agrippa rudement par l’épaule. Elle se souvint du pistolet du cheik, que Colt lui laissait toujours pour se défendre. Elle le dégaina et le pointa sur l’animal, mais To-yat, prenant cette arme pour une matraque dont elle voulait le frapper, la lui arracha et la lança au loin. Puis, comme elle se débattait pour se libérer, il la souleva sans peine, la coinça contre sa hanche et pénétra dans la jungle, dans la direction d’où il était venu.
Colt s’attarda auprès de sa proie assez longtemps pour la dépouiller de ses pieds, de sa tête et de ses viscères, afin de réduire le poids de la pièce qu’il comptait rapporter, car il savait que les privations avaient notablement réduit ses forces.
La carcasse sur l’épaule, il prit le chemin du gîte d’une nuit, tout heureux à la pensée que, pour une fois, il revenait nanti d’une ample quantité de viande nourrissante. En titubant sous le poids de la petite antilope, il échafaudait des plans pour donner à l’avenir immédiat une couleur plus rose. Ils se reposeraient jusqu’à ce que leurs forces reviennent. Pendant ce temps, lui-même fumerait toute la viande qu’ils ne pourraient manger immédiatement. De la sorte, ils disposeraient de réserves de nourriture qui leur permettraient sans doute de tenir longtemps. Deux jours de repos et de bonne chère leur rendraient assurément l’espoir et la vitalité.
En refaisant brusquement le chemin du retour, Colt commença à se rendre compte qu’il s’était aventuré plus loin qu’il croyait, mais il se dit que cela en avait valu la peine, même s’il ne devait rejoindre Zora que dans un état de profond épuisement. Il ne douta pas un instant qu’il la retrouverait, tant il avait confiance en ses capacités d’endurance et de volonté.
Chancelant, il parvint enfin au but. Il regarda dans l’arbre et appela Zora. On ne répondit pas. Il y eut un bref instant de silence, et une prémonition sourde, oppressante, s’empara de lui. Il jeta à terre la carcasse de l’antilope et inspecta hâtivement les alentours.
— Zora ! Zora ! criait-il.
Mais seul le silence de la jungle lui répondit. Puis, à force de fureter, il trouva le pistolet d’Abu Batn où To-yat l’avait lancé. Ses pires craintes prirent aussitôt corps, car il savait que, si Zora était partie de son plein gré, elle aurait gardé l’arme. Elle avait été attaquée et enlevée. Il en était sûr à présent. Il observa le sol plus soigneusement et découvrit les empreintes d’un grand pied humanoïde.
Une fureur subite saisit Wayne Colt. La cruauté de la jungle, l’injustice de la nature l’emplirent d’une mâle rage. Il voulait tuer le ravisseur de Zora Drinov. Il voulait le déchirer de ses propres mains, le lacérer de ses dents. Tous les instincts sauvages de l’homme primitif renaissaient en lui. Oublieux de la viande qui, l’instant d’avant, signifiait tant pour lui, il s’élança tête baissée sur les traces de To-yat, le chef des singes.
La d’Opar se frayait lentement un chemin dans la jungle, après avoir échappé à Ibn Dammuk et à ses compagnons. Elle se sentait attirée par sa ville natale, tout en sachant qu’elle ne pourrait y entrer sans danger. Mais où donc aller, dans ce vaste monde ? Au cours de ses pérégrinations, depuis qu’elle avait quitté Opar, elle s’était convaincue de l’immensité du continent et l’inutilité de sa recherche de Tarzan lui était pleinement apparue. Elle retournerait donc dans le voisinage d’Opar en espérant que peut-être, un jour, Tarzan s’y montrerait à nouveau. Elle se souciait peu des dangers qui se présenteraient sur sa route, car La d’Opar n’avait cure d’une vie qui ne lui avait guère apporté de bonheur. Elle vivait parce qu’elle vivait et, en vérité, elle lutterait pour prolonger cette vie, car telle est la loi de la nature, qui incite puissamment les plus infortunés à prolonger leurs misères, leur procurant le même désir de vivre qu’aux mieux lotis qui coulent des jours heureux.
Tout à coup, elle sentit qu’on la poursuivait. Elle marcha plus vite et gagna du terrain sur ceux qui arrivaient derrière elle. Elle découvrit une piste et la suivit, tout en sachant que, si celle-ci lui permettait de presser le pas, elle en ferait autant pour ceux qui la traquaient. De plus, sur cette piste, La ne les entendait plus aussi bien qu’auparavant, quand ils devaient se frayer un passage à travers le sous-bois. Elle avait confiance toutefois : ils ne la rattraperaient pas. Mais, à un tournant du chemin, elle s’arrêta net dans son élan : là-bas, lui coupant la retraite, se tenait un grand lion. Elle reconnut, non point Jad-bal-ja, le compagnon de chasse de Tarzan, mais l’animal qui l’avait sauvée du léopard, après que Tarzan l’eut quittée.
Les lions étaient des créatures familières à La d’Opar. En effet, les prêtres capturaient souvent des lionceaux et ce n’était pas chose inhabituelle d’en élever comme animaux de compagnie jusqu’à ce que leur férocité renaissante les rende dangereux. Aussi La savait-elle que les lions pouvaient s’associer à des êtres humains sans les dévorer. Ayant déjà l’expérience des dispositions de ce lion-ci, et ne connaissant guère plus la peur que Tarzan lui-même, elle ne tarda pas à choisir entre le fauve et les Arabes lancés à sa poursuite. Elle s’avança droit vers la grosse bête. Elle était elle-même une enfant de la nature, aussi savait-elle que la mort viendrait vite et sans douleur entre les griffes d’un lion : elle n’éprouvait donc nulle crainte, mais seulement une grande anxiété de ce que les événements lui réservaient.
Quant à Jad-bal-ja, ses narines lui apportaient depuis longtemps déjà l’odeur de La, car elle se déplaçait sous le vent ; c’est pourquoi il l’avait attendue, la curiosité éveillée par la trace olfactive plus faible des hommes qui la suivaient à la trace. Quand elle arriva à sa rencontre, il se rangea sur le côté de la piste pour la laisser passer et, comme un grand chat, se frotta la crinière à ses jambes.
La s’arrêta et lui posa une main sur la tête. Elle lui parla à voix basse, dans le langage des premiers humains, ce langage propre aux grands singes mais qui s’employait couramment parmi son propre peuple, et qui était aussi celui de Tarzan.
Hajellan, conduisant ses hommes à la poursuite de La, parvint à un tournant de la piste et s’arrêta pétrifié. Il voyait devant lui un grand lion, lui faisant face. Un lion qui découvrait les crocs en un rictus irrité. À côté du lion, une main enfouie dans son épaisse crinière noire, la femme blanche !
Elle n’eut qu’un mot à dire au fauve, dans une langue que Hajellan ne comprenait pas. « Tue ! » cria La dans l’idiome des anthropoïdes.
La grande prêtresse du dieu flamboyant avait une telle habitude du commandement qu’elle n’imagina pas un instant que Numa pût ne pas lui obéir. Bien qu’elle ignorât que Tarzan avait coutume de commander précisément ainsi à Jad-bal-ja, elle ne fut donc pas surprise en voyant le lion se tapir, puis charger.
Fodil et Dareyem s’étaient arrêtés juste derrière leur compagnon. Ils furent saisis d’horreur quand ils virent le lion bondir, ils tournèrent prestement les talons et prirent la fuite, pour entrer bientôt en collision avec les Noirs qui arrivaient derrière eux. Hajellan, lui, resta paralysé de frayeur. Il vit Jad-bal-ja se lever sur ses pattes arrière. Puis le carnassier s’empara de lui, lui plongea les crocs dans la tête et les épaules, lui faisant éclater le crâne comme une coquille d’œuf. L’animal secoua brutalement le cadavre et le jeta à terre. Puis il fit demi-tour et regarda La d’un œil interrogateur.
Elle n’avait pas plus de sympathie pour ses ennemis que Jad-bal-ja lui-même, mais elle souhaitait seulement en être débarrassée. Elle ne se souciait ni de leur vie, ni de leur mort. Aussi ne lança-t-elle pas Jad-bal-ja à l’assaut de ceux qui avaient fui. Elle se demandait ce que le lion ferait, maintenant qu’il avait tué une proie. Sachant que le voisinage d’un lion au repas n’était pas un endroit très sûr, elle se remit à marcher sur la piste. Cependant Jad-bal-ja n’était pas un mangeur d’hommes, non qu’il éprouvât des scrupules moraux, mais parce qu’il était jeune et actif et qu’il se procurait sans difficulté un gibier de loin préférable à la chair saumâtre des humains. Il laissa donc Hajellan où il l’avait jeté et suivit La par les pistes ombreuses de la jungle.
Un Noir, nu à l’exception d’une cordelette en guise de pagne, porteur d’un message venant de la côte et adressé à Zveri, se reposait au croisement de deux pistes. Le vent venant de sa gauche apporta bientôt à ses narines sensibles un léger fumet annonçant la présence d’un lion. Sans un moment d’hésitation, l’homme disparut dans le feuillage d’un arbre surplombant la piste. Peut-être Simba n’avait-il pas faim, peut-être Simba ne chassait-il pas, mais le messager noir n’entendait pas prendre de risques. Il était sûr que le lion approchait, et il resterait là pour voir laquelle des deux pistes Simba prendrait.
Attendant avec une relative indifférence, vu la sécurité que lui offrait son sanctuaire, le Noir n’était pas préparé au choc qu’il subit à la vue du spectacle qui se présenta soudain devant lui. Jamais, dans les couches les plus profondes de sa superstition, il n’avait conçu une apparition semblable. Il cilla des yeux avec force pour s’assurer qu’il était bien éveillé. Non, il ne pouvait y avoir d’erreur. C’était bien là une femme blanche, presque nue mais couverte d’ornements d’or, une peau de léopard autour de ses hanches étroites. Une femme blanche se promenant les doigts d’une main plongés dans la crinière noire d’un grand lion aux reflets dorés.
Ils arrivaient sur la piste et, au croisement, ils prirent à gauche, par le chemin que lui-même comptait emprunter. Quand ils eurent disparu, il toucha des doigts le fétiche suspendu à son cou et pria Mulungo, le dieu de son peuple. Quand il se remit en route vers sa destination, il prit un itinéraire différent et détourné.
A la nuit tombée, Tarzan venait souvent au camp des conspirateurs et, perché dans un arbre, il écoutait Zveri exposer ses projets à ses camarades. Ainsi, l’homme-singe était-il au courant de toutes leurs intentions, jusque dans leurs moindres détails.
Sachant donc qu’ils ne préparaient aucun coup de main dans un proche avenir, il se mit à errer dans la jungle, loin de la vue et de l’odeur des hommes, en jouissant pleinement de la paix et de la liberté qui constituaient sa vraie vie. Il savait que Nkima aurait entre-temps atteint le but de son voyage et délivré le message dont il l’avait chargé. L’homme-singe restait cependant surpris de l’étrange disparition de La, et il était vexé de l’incapacité dans laquelle il s’était trouvé de découvrir sa trace. Cette disparition le blessait sincèrement, car il n’avait pas manqué de formuler des plans bien précis pour la réinstaller sur son trône et punir ses ennemis. Il ne s’abandonnait toutefois pas à d’inutiles regrets et il se balançait d’un arbre à l’autre, tout à sa joie de vivre. Ou bien, quand la faim s’emparait de lui, il guettait sa proie en observant le silence terrible et menaçant de l’animal en chasse.
Il pensait parfois à ce jeune Américain, de si belle apparence, qu’il avait pris en sympathie bien qu’il le considérât comme un adversaire. S’il avait su dans quelle situation se trouvait à présent Colt, peut-être lui serait-il venu en aide, mais il en ignorait tout.
Ainsi donc, seul et sans ami, plongé dans le plus profond désespoir, Wayne Colt s’avançait en trébuchant dans la jungle, à la recherche de Zora Drinov et de son ravisseur. Mais il avait déjà perdu leur piste ténue. Loin sur sa droite, To-yat emportait sa captive, à l’abri de toute poursuite.
Recrue de fatigue, en proie à un choc nerveux, terrifiée et désespérée par sa situation sans issue, Zora avait perdu conscience. To-yat craignait qu’elle ne fût morte, mais il continuait néanmoins à la porter, afin de se procurer au moins la satisfaction de l’exhiber à ceux de sa tribu pour les convaincre de ses prouesses et, peut-être, trouver prétexte à un nouveau Dum-Dum. Sûr de sa force, conscient que peu de prédateurs pouvaient impunément s’en prendre à lui, To-yat ne prenait pas la précaution d’avancer en silence, mais se promenait dans la jungle au mépris de tout danger.
Nombreuses étaient les oreilles mobiles et les narines sensibles auxquelles parvenaient le message de ses déambulations, mais cette étrange mixture d’effluves, dégagée par un singe mâle et une femelle mangani, ne parut digne d’investigation qu’à une seule créature. Tandis que To-yat poursuivait sa promenade nonchalante, une autre créature de la jungle, marchant silencieusement sur ses pieds agiles, partit donc à sa rencontre. À un certain moment, depuis un poste d’observation élevé, des yeux perçant purent contempler le mâle hirsute et la jeune femme élancée, aux traits délicats. Une lèvre se retroussa en un rictus silencieux. Un instant plus tard, To-yat, chef des singes, dut s’arrêter en grimaçant et en se hérissant, face à la silhouette géante d’un Tarmangani bronzé qui venait d’atterrir légèrement sur la piste, menace vivante pour sa propriété nouvellement conquise.
Les yeux méchants du mâle lançaient des éclairs de haine.
— Va-t’en, gronda-t-il. Je suis To-yat. Va-t’en ou je tue !
— Dépose la femelle, ordonna Tarzan.
— Non, brailla To-yat. Elle est à moi !
— Dépose la femelle, répéta Tarzan, et passe ton chemin, ou je tue. Je suis Tarzan, seigneur des singes, seigneur de la jungle !
Tarzan saisit le couteau de chasse de son père et se baissa en avançant vers le singe mâle. To-yat grogna et, voyant que l’autre entendait livrer bataille, il déposa le corps de la jeune femme, afin de ne pas rester en état d’infériorité. Les deux adversaires tournaient l’un autour de l’autre, chacun cherchant l’avantage, quand soudain un craquement terrible parvint du sous-bois.
Tantor, l’éléphant, endormi dans la sécurité de la forêt, venait de s’éveiller en sursaut, au bruit des deux bêtes hurlantes. Il avait senti aussitôt une odeur familière, celle de son cher Tarzan, et ses oreilles lui avaient appris que ce dernier affrontait le grand Mangani dont le fumet lui parvenait avec non moins de force.
En ployant et en arrachant des arbres, le grand éléphant mâle s’était précipité à travers la forêt. Il en émergea soudain, dominant les combattants de toute sa taille ; To-yat, chef des singes, lisant la mort dans ses yeux pleins de colère et ses défenses luisantes, ne demanda pas son reste et prit la fuite.